Il n’y a pas longtemps, la ville de Jérémie s’est réveillée avec émoi suite à la nouvelle de la mort d’un citoyen de la ville dans une chambre d’hôtel apparemment suite à la prise de produit aphrodisiaque. Cette nouvelle allait prendre de l’ampleur quand il s’est avéré que la victime était accompagnée d’une dame qui n’est pas sa compagne officielle. Depuis, cette mésaventure a entrainé pas mal de palabre sur la question de la fidélité dans les relations de couple que certains présentent comme étant naturelle et la situation normale dans les relations amoureuses. Face à cette situation nous avons voulu analyser la question de la fidélité à la lumière de la science économique et en particulier de la micro-économie.
La monogamie : une exigence historique
Depuis la genèse de l’humanité, il existe des formes complexes d’unions, polygamie, polyandrie, promiscuité totale, monogamie, etc. Puis la monogamie va s’imposer de plus en plus et particulièrement dans les sociétés occidentales. Pour Engels, la monogamie est fille de la propriété privée et de la transmission héréditaire des richesses. Fustel de Coulanges, quant à lui, voit dans la religion la source originelle de la monogamie. Selon lui, ce sont aux règles de la religion du foyer et des ancêtres qu’obéit la famille. Avec l’avènement du christianisme, la monogamie sera une véritable imposition : un seul homme, une seule femme pour toute une vie. Comme l’affirme Jacques Attali, nulle religion n’a prétendu gérer avec une aussi grande précision la vie sexuelle de chaque fidèle. Cette exigence de la fidélité au sein des relations des couples a pour conséquence le développement de son contraire qui est l’infidélité. Chez l’homme, celle-ci s’exprime ouvertement avec l’hétaïrisme et chez la femme sous la forme d’adultère. Ainsi, pour W. Reich (1968 :87) la rigueur de la morale sexuelle (surtout imposée aux femmes) entraine, aux côtés des relations extra-matrimoniales, la perversion sexuelle, la sexualité mercenaire, la prostitution et la diffusion des maladies vénériennes. Outre la perversion et l’infidélité, les divorces traduisent les difficultés du mariage monogamique.
Ainsi, nous pouvons nous demander, dans quelle mesure la monogamie correspond-elle réellement à la nature humaine? Autrement dit, comment peut-on expliquer les infidélités dans les relations monogamiques ?
Pour répondre à ces questions, sans toutefois contredire les analyses de REICH et d’ENGELS, une vision économique de la vie sexuelle va être adoptée en partant du postulat fondamental de l’analyse économique : tous les comportements sont guidés par la recherche du maximum de satisfaction individuelle des décideurs (GENEREUX, 1993). Et, pour ce faire, la micro-économie sera mobilisée et, l’accent mis sur deux notions de base de la micro-économie que sont : d’Utilité (totale) et son corollaire l’Utilité marginale. Ensuite, l’application de ces notions à la sexualité des relations des couples va être discutée.
De l’utilité totale…
La notion d’utilité fut développée, à la fin du XIXe siècle, par les économistes Jevons, Menger et Walras comme un indicateur du bien-être général d’un individu (VARIAN, 1992). Elle désigne le degré de satisfaction qu’éprouve un individu à consommer un bien ou un service. Pour ces auteurs, l’individu est capable de mesurer de manière quantitative la satisfaction éprouvée lors de la consommation d’un bien ou d’un service. Cette approche cardinale de l’Utilité, non sans importance, présente des limites d’ordre pratique. L’on peut se demander comment un individu pourra chiffrer la satisfaction éprouvée lors de la consommation d’une tasse de café par exemple ; ou encore si l’individu éprouve une plus grande satisfaction à consommer une tasse de lait à une tasse de café, comment pourra-t-il traduire quantitativement cette préférence? Ainsi, au début du XXe siècle, l’économiste italien Vilfredo Pareto proposera une approche ordinale de l’Utilité. Il ne s’agit plus de quantifier la satisfaction mais d’établir un ordre de préférence entre deux ou plusieurs paniers de biens ou de services.
L’utilité marginale
L’utilité marginale découle de l’approche cardinale de l’utilité. Elle est une mesure différentielle qui exprime la variation de l’utilité totale pour une variation infinitésimale dans la quantité d’un bien parfaitement divisible (sucre, sel, etc.) consommé. Dans le cas de biens imparfaitement divisibles (une voiture, une maison, une plume, etc.), elle exprime la variation de l’utilité totale induite par la consommation d’une unité supplémentaire de ce bien (VARIAN, 1992).
Le principe de l’utilité marginale décroissante
Si l’utilité totale est une grandeur généralement positive et croissante, l’Utilité marginale, quant à elle, est positive mais évolue de manière décroissante. En effet, si l’intensité du besoin décroît avec la quantité consommée, il est normal que la satisfaction procurée par chaque unité supplémentaire soit moins importante que les précédentes. En effet, le quatrième verre d’eau procure moins de satisfaction que la première.
Le principe d’Utilité marginal appliqué aux relations amoureuses
Pauline Greenhill définit le mariage et par extension une relation amoureuse comme étant les structures légales et sociales entourant le lien entre individus pour l’échange de services sexuels et économiques (GREENHILL, 2006). Donc, toute relation (ou la grande partie) amoureuse implique la consommation de ce service qu’est la sexualité. Et comme tout service, sa consommation procure un certain degré de satisfaction (utilité) à celui ou celle qui le consomme. Or la notion d’utilité marginale nous enseigne que la satisfaction procurée par une unité supplémentaire de bien et/ou de service va décroissant. Ainsi, nous référant à la notion d’utilité marginale, l’on peut dire que la satisfaction sexuelle va décroissante à mesure que nous consommons le même service (la même personne) et risque de s’annuler et de devenir négative à un certain niveau. En effet, ceux et celles qui ont expérimenté des relations amoureuses de longue durée savent qu’à mesure qu’on connait l’individu, qu’on enregistre ses manières d’agir, ses charmes, ses jeux de séduction, ses habitudes, vient s’établir dans la relation une monotonie parfois ennuyante. Et, ce charme premier qui cimentait les premiers moments de la vie amoureuse est la source de bien de discorde. C’est pourquoi l’individu, étant rationnel, avant d’arriver à une satisfaction sexuelle marginale décroissante changée de services sexuels ou mieux encore de fournisseur et ainsi de suite.
À ceux et celles qui objecteront une telle démarche, nous dirons qu’elle n’est pas l’explication du problème de l’infidélité. Mais un instrument permettant de comprendre et d’analyser certaines décisions sexuelles dans des couples qui enregistrent des cas d’infidélités sexuelles dans leurs relations. De plus, pourquoi et comment expliquer que des individus qui appliquent continuellement les principes d’utilité et d’utilité marginale dans leur vie s’en passeront-ils uniquement dans le domaine sexuel ?
Dorvilier Samuel Etzer Laurent J. Rene / dorviliersam@gmail.com