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Vers une compréhension de la problématique d’inaccessibilité d’espace public de loisirs pour tous dans la ville de Jérémie

Pas besoin de faire un maximum d’effort pour constater à Jérémie le nombre peu élevé d’espace public de loisirs accessible à tous. Dans un contexte où le problème urbain est au cœur de la réflexion, l’accessibilité d’espace public de divertissement est de plus en plus limité dans cette ville. Ainsi, réfléchir sur la problématique d’accessibilité de loisir pour tous (sans discrimination de genre) dans cette commune englobe à la fois la répartition de l’offre du loisir et l’accès physique aux sites de la population, aux équipements et aux activités. Parler de loisir implique nécessairement une autre notion à savoir celle du temps de loisirs. Il faut préciser que le temps de loisirs que nous aborderons dans cet article sera uniquement utilisé comme un temps libre. A Jérémie précisément à Versailles, à travers des activités de production de loisirs collectifs, les gens construisent une identité urbaine (MÉDA, 2004).  Je me donne pour objectif d’analyser le mode d’usage de l’espace de Versailles dans la ville de Jérémie par la population locale pour réaliser leurs activités ludiques.

L’adjectif ludique désigne ici l’ensemble des activités de loisir, c’est-à-dire déployées pour le repos ou le plaisir de l’individu en dehors des espaces-temps consacrés au travail ou aux tâches ménagères (MONNET, 2012). Selon Jean Andris Gay qui est le président d’une association de pêcheurs de la zone de Versailles, les principales activités et pratiques de loisirs de la zone sont : les courses de voiliers et de sacs, les concours du plus gros et grand mangeur, les courses d’œufs, le championnat de football etc. Pour lui, ces activités d’animations culturelles sont utilisées pour combler le besoin social de loisir des gens qui habitent le quartier. Dans ce même ordre d’idée, Tamara Bazile et Romelus déclarent que le championnat annuel de football est organisé sans véritablement de soutien de l’Etat et du secteur privé de la ville. A défaut de ces soutiens, l’espace de la plage est non aménagé et ne possède pas d’équipement physique et symboliques et de matériels pour créer les activités récréatives. 

Dans le milieu urbain haïtien, l’organisation de l’espace est censée lié à  la responsabilité de l’État si on croit les propos de Leslie Voltaire (HURBON dir., 1989).  La ville de Jérémie manque cruellement de parcs d’attraction, de clubs publics, des espaces publics de loisir et de lieux de divertissement. Ce manquement peut-être expliqué par plusieurs facteurs tels que : une technique de gouvernance par l’irresponsabilité de l’État en Haïti qui tend à fuir ses principales responsabilités envers la population (LAMOUR, 2019). Et par l’inexistence d’une politique publique de loisir, peu d’importance est allouée aux activités de loisir pour tous par les autorités. Une observation sociologique et suivie de quelques entrevues dans la zone de Versailles confirment en quelque sorte le problème d’accès à des espaces publics de loisirs dans la ville de Jérémie.

Le quartier de Versailles est situé dans la rentrée Sur de la ville, au sud de Sainte-Hélène, qui se fait connaître principalement pour son station d’essence pas trop loin de l’ancien usine de glace et son grand championnat annuel de football organisé surtout pendant les vacances d’été. Ce quartier ne dispose d’aucun espace public de loisir accessible à tous, et aménagé pour des personnes à mobilité réduite de prendre place en vue de trouver un brin d’épanouissement. L’ensemble des activités sportives et récréatives se concentrent principalement sur la plage d’entrée de la ville. Ce qui m’amène à considérer, l’espace côtier de Versailles comme une centralité de production de loisir de proximité. La population environnante est attachée au championnat pour de multiples raisons selon les explications fournies par les joueurs et des membres des comités d’activités socioculturelles. 

Pour eux, c’est une marque identitaire, c’est un lieu pour faire valoir les talents sportifs des jeunes du quartier. Globalement, ce championnat représente un patrimoine culturel ou encore c’est le garde-fou d’une mémoire collective des gens qui habitent à Versailles. À côté de son caractère ludique, ce championnat organisé sur la plage à pieds nus, est un lieu de sociabilité et une occasion où les joueurs profitent pour faire valoir leurs talents au grand public, et aussi l’occasion où les marchands du quartier vendent leurs produits. Les activités récréatives du quartier et ce championnat de football répondent aux fonctions de loisirs tels que: la fonction de divertissement, de détente et de développement personnel et collectif (FORTIER, ANGER, 2006). D’après Luckson Lafleur et John Peter qui sont respectivement résidents de la zone et joueurs de football, ce championnat renforce le sentiment d’appartenance et l’affirmation identitaire et ainsi favoriser l’intégration sociale.

Sur la plage de Versailles des courses de voiliers sont organisées surtout pendant les fêtes patronales pour les pêcheurs de la zone et d’autres venants d’horizons différents. Sur le terrain, chaque après-midi vers les 17h des jeunes viennent régulièrement pour jouer au football généralement à pieds nus à cause du sable de la plage. L’espace de cette dernière non aménagé est le centre d’attractivité des gens du quartier au regard du nombre limité d’espace public de loisirs dans la ville. L’accessibilité au loisir comporte plusieurs dimensions et repose fondamentalement sur la disponibilité des équipements destinés aux loisirs. En dépit de l’indisponibilité des espaces à fonction ludiques, ces gens des couches populaires parviennent à produire leurs programmes d’activités récréatives et ludiques. Ainsi, les classes populaires en créant ces programmes participent à la production de l’espace urbain (BEAUCEJOUR, 2021). A travers la production de loisir et de plaisir, ces gens de la classe populaire de Versailles participent à la vitalisation et la production d’un espace urbain culturel. 

En ce sens, l’État en Haïti à travers la municipalité de la ville de Jérémie devrait rendre accessible des espaces publics et fonctionnels aux gens pour leurs besoin sociaux de divertissements. Dans le temps non travaillé des gens, ils peuvent en profiter de ce temps pour effectuer des activités de loisir. Les rares espaces publics de loisir ne sont pas aménagés et disposés pour offrir aux marchands de la zone la possibilité d’étaler leurs marchandises aux spectateurs. Les principaux espaces publics de la ville sont par exemple le ministadiumSténio Vincent, la place publique Ti Amélie, le ministadium de la place Dumas, le fort La pointe, le parc Saint Louis de Jérémie, les plages de la ville, la bibliothèque Sténio Vincent, la place publique de Platon etc. Ces derniers sont pour la plupart disfonctionnels et inaccessibles au grand public en raison de l’absence d’une politique publique de loisir des autorités gouvernementales. L’absence de cette politique publique témoigne leur irresponsabilité par rapport à leurs devoirs de répondre aux principaux besoins de la population.

Le problème d’accessibilité de loisir pour tous peut-être posé à plusieurs niveaux ; ici à Jérémie de la part des offrants et des demandeurs. Les centres récréatifs ne sont pas fonctionnels et animés avec des activités de loisir pour divertir les demandeurs. Ce qui renforce notre point de vue sur l’irresponsabilité comme technique de gouvernance de l’Etat en Haïti. Cela dit, le loisir n’est pas une priorité pour les autorités (c’est-à-dire les offrants) de la ville de Jérémie. Plus de championnat interscolaire de football s’est organisé qui était non seulement une activité sportive pour les écoliers, mais également un lieu de sociabilité pou la population. La suspension est du notamment par manque de financement de l’État si on peut croire Jean Agnous Chéry dit Tiyous ancien pensionnaire du MJSAC. Versailles est un lieu de reproduction de vie pour les habitants du quartier, en raison de l’exploitation qu’ils font de ces ressources. Sur la plage, les habitants exploitent quotidiennement les mines de sables, de graviers, des petitesanguilles en période saisonnière, des fruits de mer etc. 

Au cours de mon observation à Versailles, Je constate qu’aucune installation publique pour des besoins de divertissement n’est livrée à cette communauté. Aucune offre urbaine et ludique en cohérence avec les riverains n’est aussi disponible dans cet quartier. Aucune installation d’équipements publique de loisir conformément aux pratiques de loisirs des habitants n’est disponible dans la zone. Depuis le passage du cyclone Matthew en 2016, qui a occasionné la destruction des infrastructures du parc Saint-Louis de Jérémie, coïncidé avec lanon-fréquentation du ministadium de la place Dumas, la municipalité n’a pas pu concevoir un espace mettant en avant des ambiances à caractère ludique pour la populationJérémienne. A coté des petits espaces de détente aménagé par l’Urbayiti et le fort La pointe, seule la place Ti Amélie non aménagée et non électrifiée peut recevoir une forte quantité de gens pour l’épanouissement et de détente. Presque pas de salle de cinéma fonctionnelle pour les couches juvéniles en particulier ou d’autres espaces qui favorisent un confort et de divertissement pour les personnes âgées. 

En guise de conclusion, mon objectif était de comprendre comment les gens habitent Versailles et leurs pratiques de loisirs au regard de la problématique d’accessibilité d’espace public de loisir pour tous. Il était question de comprendre le mode d’usagedes gens du quartier de l’espace public pour la production des activités de loisirs de proximité. On se retrouve entre l’absence d’une politique publique de loisir, et d’un espace mettant en avant l’accessibilité à une ambiance festive de qualité. Il y a une nécessité d’avoir à Jérémie un espace public fonctionnel pour la production des loisirs collectifs. Un espace public offrant non seulement de confort, mais aussi l’accès au loisir aux enfants, aux jeunes, aux personnes âgés et aux personnes à mobilité réduite. Dans un pays à structure économique capitaliste comme Haïti, où l’Etat néglige volontairement ses responsabilités, le secteur privé pourrait au moins créer des parcs attractives et des espaces fonctionnels pour pallier à la problématique d’inaccessibilité d’espaces de loisir pour tous. 

Ce que les autorités ont tendance à oublier, c’est que notre vie a besoin d’un certain équilibre. Le besoin de s’adonner aux activités de plaisir et de loisir est aussi important comme tous lesbesoins physiologiques. De là étant, les membres de la société civile pourraient relancer les discussions sur la revitalisation de ces espaces de loisir. On finit par conclure que la ville de Jérémie fait face à un problème d’accessibilité d’espace public de loisir pour tous dans un contexte où le stress est au quotidien en raison des troubles sociopolitiques qui sévissent dans le pays.

Bill Régy JEAN, mémorant en sociologie à la faculté des sciences humaines de l’Université d’État d’Haïti.

Références bibliographiques

1. BEAUCEJOUR Pierre Jameson, (2022), Production de loisir collectif dans le contexte des mutations urbaines de Port-au-Prince : un cheminement décolonial des programmes Car-Wash à Bas Peu-de-Chose. Mémoire de sortie à la FASCH-UEH, 119 pages, page 78.

2. FORTIER Julie, AUGER Denis (2006), Laboratoire en loisir et vie communautaire, Université du Québec à Trois-Rivières

3. HURBON, Laennec, dir., (1989) Chemins critiques : Le rêve d’habiter, volume 1 no 3

4. MONNET Jérôme, « Ville et loisirs : les usages de l’espace public », Historiens & Géographes n°419, juillet-août 2012, p.201-213

5. LAMOUR, Sabine (2019). « L’irresponsabilité, une compétence de dominant ». Revue Internationale des études du développement, no 239, pp. 7-29

6. LE RU Véronique, (2023) « Temps, mémoire et identité », Carnets [En ligne], Deuxième série – 26 | 2023, consulté en ligne le 03 octobre 2024.

7. MÉDA Dominique, (2004), « Manquons-nous de temps ? », Interventions économiques, n° 31, 15 p.

8. YVES Grafmeyer, et AUTHIER Jean-Yves, (2019). « Le quartier des sociologues ». Pour la sociologie urbaine, Presses universitaires de Lyon, https://doi.org/10.4000/books.pul.28882.

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