Si Jérémie m’était contée, je trouverais à applaudir les pionniers et les pionnières de la fondation des lieux il y a déjà 265 ans. Je louerais la perspicacité de ces esprits de 1755 qui ont quitté la fureur des eaux à Testas pour s’agglutiner au calme de Madan Kodo. Je dirais mon enthousiasme de voir pousser ma ville comme une pieuvre aux tentacules diverses et éparses remplies de ventouses, de petits quartiers d’appauvris femmes et hommes, de petits bourgeois et bourgeoises sur talons et en rosette, de toute une population amalgamée de grimèl, de tiwouj, de tinwè, de tiblan, de kannèl, de kakadyab, de sans couleur réelle restant sauves, en leurs âmes, celles de l’arc-en-ciel qui s’étalent après nos coups de nordé.
Je me rendrais historien, du moins narrateur, pour ne pas laisser s’étouffer les colères légitimes de nos grenadières et les vrombissements de nos grenadiers, à l’assaut et en sourdine de toutes nos luttes étayées et victorieuses, de toutes nos revendications d’avant 1804, de nos combats du temps des nationalistes et des cacos, de nos joutes partisanes, de nos préjugés, de nos soumoun, de nos imbécilités.
Je m’amuserais à parler de nos clubs de tout genre et de toute sorte s’intéressant à la plume, à la musique, à la danse, au théâtre, à l’action humanitaire, au sport, au cinéma, aux engagements religieux, à la vie ! Une autre façon inclusive de rappeler des personnes de nos commerces, de nos cabotages, de nos services routiers, nos cireurs, nos lessiveuses, nos camionneurs, nos madan sara, nos timachann, nos moun tètcho, nos moun fou poze et nos pil aksyonè, nos meutes d’atoufè. Ajoutons nos san vègòy, nos gratè, nos topiyè, nos betizè, nos ryennafè et nos reskiyè.
J’aurais, courtoisement, invité sur et dans cette scène de notables farceurs d’un temps et d’une période sans négliger nos tant et tant de visages notoires qui ont fait et qui font usage, sans mesure et sans contrôle, de vapeurs, de goût d’alcool, de plantes herbacées ou graminées sauvages et de n’importe quel hallucinogène. Selon les mots bien aimables de notre langue maternelle : si gen pou youn, fòk gen pou tout. À la fête, on aurait à se croiser ! J’entrelacerais mes mannes et mes ouailles … à nous craquer les thorax ! J’assemblerais mes hypocrites et mes sournoiseries, mes légèretés et mes naïvetés ; le leur ferai la fête sans restriction de protocole ! On est de Jérémie ! On va en promenade, on part se balader Soukare Laplas. On est à Jérémie ! La fête est de la famille ! On est à la kermesse. On va au bal de salon.
La sérénade, c’était l’avant-veille après le bain à l’Anse d’azur ! Les 265 sont à nous ! Il faut la faire et quitter gros à nos congénères, au présent et à demain. Nous avons hérité … au moins l’enveloppe qui protège nos artères et nos organes, nos os et nos muscles, notre apparence et notre posture. Notre mounsite flanche.
Si et si l’héritage était plus consistant ! Si et si le patrimoine était plus tenace aux caprices des saisons économiques, politiques, culturelles, religieuses ! Si et si nous nous mettons à rêver ! Si et si nous nous attelons à agir ! Si et si nous nous modelons à croître hors de nos histoires accablantes d’exécutions sommaires et de disparitions effrayantes. Ostracisme, délation, participation, vêpres ! Nos plis sont de multiples soins et de diverses griffes. Signalons-nous en par devoir de mémoire et en souvenance : souflanntyou, milat, makout, kamoken, rebèl, twazyèm kolòn, teke mab, dechoukay, lavalas, grenn nan bouda, rat pa kaka, bandi legal … tractations et magouilles, concessions et libéralités anonymes ! Disposons-nous pou n fòme yon konbit pou n sove lakay !En Grand’Anse, distinctement, séparément, en diaspora, en union et en symbiose, collectivement imaginons-nous Jérémie intelligemment, artistiquement, sereinement, fièrement, passionnément !
Michel Riquet DORIMAIN, MTh. ; M. A. ; LL. L.mirido1@yahoo.comDécembre 2020.