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Vers la quête de l’équilibre pour une  justice saine et équitable dans la Grand’anse.

Selon un vieil adage, « la Justice est le socle d’un Etat de droit ». Cette notion fait allusion à « un Etat dans lequel règnent la démocratie et les droits de l’homme. Les pouvoirs publics sont euxmêmes soumis aux règles de droit qu’ils adoptent ». Est-ce le cas pour la Grand’Anse, partie intégrante de l’Etat haïtien? Sans parti pris, sans haine, c’est loin d’être une réalité. Le dysfonctionnement de l’appareil judicaire dans cette zone notamment à Jérémie intrigue de nombreux citoyens et citoyennes. Ce département de par sa configuration souffre de tous les maux. Dotée de quinze (15) tribunaux de Paix et  cinq (05) annexes   basés  respectivement à Château banlieue de Jérémie, à Prévilé, Duchity, Carcasse et Lory, la Grand’Anse est une région éloignée, quasi abandonnée par les autorités centrales. Les démarches entamées par des autorités locales, depuis des années, n’ont pas abouti à la mise en place d’autres Tribunaux de Première Instance dans les arrondissements de l’Anse d’Hainaut et de Corail. Il en est de même pour l’ouverture d’une Cour d’Appel ainsi qu’un Tribunal spécial pour les mineurs, au regard de la loi du 6 Septembre 1961. Entretemps, les problèmes se multiplient en nombre considérable dans la juridiction de Jérémie en particulier, alors que les pistes de solution demeurent très limitées. La justice, un pilier, un pivot social, est sérieusement affectée, elle perd  l’équilibre. D’où la nécessité, aujourd’hui, de partir à la recherche de cet élément clé, ce symbole indispensable à la bonne marche de l’institution. La tache qui nous incombe est ardue mais nous n’avons pas le choix, nous devons y tenir.

A Jérémie, chef-lieu de ce département, ces dernières années, les justiciables ont tout vu, même s’ils ne parviennent pas jusqu’à date à tout appréhender. Des faits récents ont suscité des commentaires dans l’enceinte du TPI   par des Avocats, des étudiants en droit, des membres d’association de défense et de promotion des droits de l’homme. A vrai dire, la justice n’est plus ce qu’elle était autrefois. Thémis, figure symbolique incontestable et incontestée au sein de la basoche, est sur le point de perdre ses valeurs honorifique et philosophique dans une juridiction reculée de la capitale, souventes fois méprisée et oubliée. Des décisions de justice résultant de la partisannerie, la partialité, l’inconscience professionnelle, la discrimination, le savoir restreint de certains magistrats font obstacle à l’application réelle et effective  des notions et normes juridiques. Vouloir plaire à un clan organisé et influent devient une pratique courante lésant de très souvent  les intérêts des justiciables. Un tel comportement compromet les droits de ces gens, car « «l`excès de justice entraine l’injustice ».

Dans cette lignée, l’un des cas récents défrayant la chronique à Jérémie est celui d’un homme arrêté en ville le 26 Septembre 2022 pour vol de ciment. Sans  flagrance, ni preuve convaincante, ce dernier est privé de sa liberté pendant plusieurs jours avant d’être jugé. A l’audience correctionnelle du 17 janvier 2023, les parties ont été entendues contradictoirement par le Tribunal. L’unique témoin à charge  entendu dans cette affaire a été tout à fait confus dans ses dires. D’ailleurs, la maxime latine est de toute importance dans cette affaire scandaleuse « Testis unus, testis nullus ». Elle se traduit ainsi : « Témoin unique, témoin nul ». Elle peut être également traduite de la manière qui suit : « Un témoignage unique est sans valeur » « Un seul témoin, pas de témoin. » Sans une enquête  menée au préalable par les autorités   policières et judiciaires, le citoyen P.C est privé de sa liberté de manière illégale et arbitraire.  Actuellement détenu à la prison civile, le Tribunal l’a condamné à 3  ans de prison et à 5 million de gourdes de dommages-intérêts, équivalant à US 33,333 dollars suivant le taux du jour fixé par la BRH, soit 150 gourdes pour 1 dollar américain. Bien évidemment, cette décision de justice est scandaleuse. Pour mieux comprendre cette approche, nous devons nous baser sur le prix unitaire du ciment  soit  340 dollars Ht pour un total de 600 sacs. Il s’agit, d’une grande première au correctionnel, à notre humble avis, dans la course effrénée vers la richesse illicite et déloyale  de quelques hommes de lois dans cette ville où la justice est très décriée depuis plus d’une décennie.

 Dans ce scénario inédit, planifié et réalisé maladroitement, le condamné s’est vu privé du droit de se pourvoir en appel pendant des semaines contre le jugement querellé. En dépit des démarches que nous avons effectuées en tant qu’Avocat, le Parquet dans sa lourdeur administrative tarde encore à signifier le jugement à la partie intéressée. Il ne fait aucun doute que l’appareil judiciaire à Jérémie fait face à de sérieux problèmes qui doivent être résolus en urgence. Il est contrôlé par des Avocats très influents, des notables qui se croient fortunés, omnipotents, des hommes politiques véreux. Les vocables familiers autonomie et indépendance de la magistrature, dans un système juridique deux poids, deux mesures paralysé par la corruption, restent et demeurent illusoires. Ce système mérite d’être repensé ou reconsidéré tout simplement. 

La réaction tant attendue de la communauté Grand’anselaise de la part des instances concernées, n’est autre qu’un coup de balai majeur d’une extrême rigueur dans cet espace dangereux, non prolifique, dominé par la méchanceté et la surexploitation des plus faibles en quête de justice. Le moment est venu pour que le visage de la justice soit redoré dans ce département. Sans illusion, c’est l’alternative idéale permettant de remettre en confiance les Grand’anselais découragés et désespérés mais toujours assoiffés de justice.

Les dernières assises criminelles organisées au TPI peuvent servir de preuve du dysfonctionnement de l’appareil judiciaire, du déséquilibre d’une balance sur le point d’être cassée ou disloquée  à tout moment. Nous avons l’impression que la loi qui ne fait pas de distinction n’est plus la même pour tous alors que les dispositions de l’article 1er de la DUDH,  tiennent encore «  Tous les êtres humains naissent libres et  égaux en dignité et en droit … ». Pourtant, un accusé acquitté après la délibération du jury et jugement définitif rendu par le tribunal criminel reste accroupi en geôle suite à  un recours dilatoire en cassation exercé  par  la partie plaignante. Il faut dire que c’est une pratique prisée  par certains Avocats à court d’argumentation ou par le ministère public en vue de bloquer le processus de libération. Elle a été utilisée au cours des années antérieures dans le but de nuire. En fait, tout découle d’une nouvelle mesure prise par le  Parquet déclarant qu’aucun ordre de mise en liberté ne sera accordé qu’après un délai de 3 jours. Cependant, les faits auxquels nous avons assisté  récemment montrent clairement que cette décision est discriminatoire. Si certains accusés n’ont pas pu laisser l’espace carcéral après le verdict d’acquittement rendu séance tenante, d’autres sont rentrés chez eux en toute quiétude le même jour, peu de temps après la levée de séance criminelle dépendamment  de leur rang social, leurs accointances politiques, de l’influence de leurs Avocats. 

Pour  élucider les faits avancés, nous présentons le cas du jeune étudiant N.J.J accusé de meurtre,   acquitté par décision du Jury et jugement définitif du tribunal criminel daté du dix-neufdécembre 2022. Ce jeune homme reste encore emprisonné, en raison d’un recours biaisé exercé par la partie civile  en cassation. A ce jour, aucune pièce liée à ce pourvoi ne lui a  été notifiée.

Le droit et la loi, dans ce cas d’espèce, sont mis à l’écart par des ignares pour faire place nette à l’arbitraire. La procédure n’étant pas respectée. Cette pratique doit être dénoncée et combattue puisqu’elle banalise et fragilise la liberté individuelle  dans une juridiction où la détention préventive prolongée, une priorité du  gouvernement haïtien, retient l’attention des observateurs et préoccupe les défenseurs des droits humains. Des audiences correctionnelles, criminelles ne sont pas tenues régulièrement. Cela fait déjà plusieurs mois, des magistrats (3) transférés au Parquet du TPI de Jérémie ont prêté serment mais n’ont jamais siégé sous les regards indifférents des autorités judiciaires. Par laxisme, manque de dynamisme, d’autorité  et  lacunes administratives, les dossiers des prévenus ne sont pas préparés à temps, ce qui rend statique la population carcérale. Les données chiffrées recueillies récemment se présentent ainsi : Sur un effectif de 436 prisonniers, quatorze (14) hommes seulement sont jugés et condamnés. Ce qui revient à dire que 397 hommes, 15 femmes et 10 garçons (mineurs) restent en attente de jugement. Pour ainsi dire, l’amélioration de la situation de ces démunis venus de loin pour la plupart d’entre eux, n’est pas pour demain. Il faut, en pareil cas,  une synergie, une prise de conscience exprimée, une volonté affirmée à travers des actions concrètes et ponctuelles afin de sortir de ce labyrinthe juridique.

C’est dans cette logique que les autorités haïtiennes avisées  pourront apporter leur pierre de manière réelle et effective à l’édification d’un véritable Etat de droit axé sur la distribution d’une justice saine et équitable dans les juridictions notamment la Grand’Anse. Comme on peut le constater, les violations persistent encore, la population en a marre. Elle veut que des changements soient opérés dans ce système affaibli, en perte de vitesse, le plus vite que possible. Cette fois-ci, elle s’attend à des résultats concrets, satisfaisants et non de fallacieuses promesses à n’en plus finir. A vous de jouer le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ), le ballon est à vos pieds. Nous restons persuadés que si rien n’est fait dans l’immédiat,  dignes confrères et consœurs de l’une des plus grandes instances du pays, nous risquons de déboucher un beau matin sur l’inadmissible, l’inacceptable et l’irréparable, par cumul de frustrations des justiciables, d’actes d’injustice non réprimés valorisant l’impunité dans ce coin de terre meurtri et discriminé.

Me Nicolson Jourdan Av.

Professeur à l’Ecole de Droit

Ex fonctionnaire des Nations Unies                                                                                                         Email : nurdan16@yahoo.com  

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